Le marché du disque en crise... et la musique ?
par yanhl, le
Il y a quelques jours, les journaux et sites web ont relayé les chiffres de l'industrie du disque pour le Q1 2008. En allant sur le site du SNEP (disqueenfrance.com), on ne trouve pas les chiffres indiqués dans les divers articles (pas encore).
L'information est certainement un simple relais de communiqué de presse, c'est assez fréquent. Je ne l'ai pas reçu et je me demande comment il a été tourné, mais à la lecture des divers article, ça sent le catastrophisme de base.
Ainsi, Le Figaro titre "Le marché du disque en baisse de 23,2 %". Challenges.fr prend pour sous-titre "Au premier trimestre, le marché de gros a fondu de 17,8% et celui de détail de 15%" et La Tribune titre "Nouvelle baisse de près de 18% du marché du disque au premier trimestre".
La Tribune et le Figaro utilisent la même citation : «La baisse est plus forte que ce qu'on craignait. On ne sait pas jusqu'où elle ira».
Et tout ceci est vrai : l'industrie du disque est en crise. Toutefois, il ne faudrait pas penser que si l'industrie du disque est en crise, c'est toute la musique qui est en crise.
Il est en effet assez difficile de comprendre le marché dans son ensemble et ce pour beaucoup de raisons.
Par exemple, il n'est pas fait mention de la redevance sur la copie privée qui s'est pourtant largement étendue depuis la reformation de la commission de la copie privée, dite commission d'Albis.
Bien sûr il ne s'agit pas de revenus directs, mais ils existent.
Lorsqu'on regarde les chiffres de la SACEM, on voit bien que ça n'est pas "la musique" qui est en crise. Ainsi, dans le rapport 2006 publié en juin 2007, on peut lire :
«L’année 2006 se caractérise par un exercice plus tendu que les autres années avec notamment, et pour la première fois depuis 1992, un taux de croissance des perceptions très légèrement négatif de - 0,2%».
Mais même si l'on reste concentrés sur l'industrie du disque, quelque chose est assez frappant, c'est que cette baisse est toujours présentée comme une cassure anormale. A la limite, on pourrait presque penser que le marché du disque était un marché à peu près constant qui s'est fait torpiller par le piratage numérique.
Voyons donc les chiffres de l'Insee pour les ventes de disque jusqu'à 2006 (donc, sans les nouveaux revenus issus de la musique dématérialisée et de la taxe sur la copie privée). Effectivement, ça tombe.
Et maintenant, regardons le "graphique associé" qui couvre une période bien plus longue :
Effectivement, ça tombe à pic. En revanche on ne peut pas dire que c'était un marché constant mais on comprend mieux pourquoi on entend toujours des comparaisons avec 2001/2002.
C'est le moment où le numérique a débarqué, mais c'est aussi le moment ou l'industrie a atteint son apogée après une longue période de croissance très forte.
Alors oui, il y a crise. Mais si elle est prise pour une catastrophe par certains, peut-être est-ce parce qu'ils ont eu l'illusion que le marché était extensible à l'infini.
Et peut-être aussi tout simplement que les français ont moins d'argent qu'avant pour leurs loisirs, à cause du passage à l'euro (avec une perception de l'augmentation du coût de la vie exacerbée), à cause d'une répartition des salaires de moins en moins égalitaire, et un manque de confiance dans l'avenir généralisé.
Dans ces conditions, c'est les loisirs qui en prennent un coup.
Et d'autant plus s'ils peuvent être piratés, c'est une manière de récupérer du "pouvoir d'achat", pour utiliser une expression très à la mode au point d'être usante. D'ailleurs c'est fou de voir à quel point le "travaille et consomme" est non seulement devenu sans reproche et assimilé, mais c'est maintenant devenu un projet de vie en soi. Mais je m'égare.
Bref, face à la possible gratuité des contenus dématérialisés, les concerts sont perçus comme la nouvelle source de revenus à privilégier.
Force est de constater qu'il y a eu de sacrés freins au marché du "disque" : les DRM qui rendaient la musique achetée moins pratique à utiliser que la musique piratée, une longue méfiance qui a fait traîner les pieds des majors pour aller vers la dématérialisation (alors que les particuliers mettaient allègrement toutes leurs collections sur le net), l'absence de logiciels faisant à la fois office de lecteur et de boutique...
Aujourd'hui les freins se débloquent grâce à la suppression graduelle des DRM et des offres de téléchargement assez satisfaisantes bien qu'encore trop justes en ce qui concerne la diversité. Mais au moins, tous les titres représentant la plus grosse partie des ventes sont là, et les solutions pour les télécharger sont simples à utiliser (l'iTunes Store, en particulier, est une vraie réussite à ce niveau).
Toutefois, ça ne suffit pas à résoudre le problème du piratage et les revenus du numérique proviennent avant tout de la téléphonie mobile (56%), mais aussi des offres illimitées.
C'est probablement vers les offres illimitées qu'on se dirige, à terme. J'ai du mal à concevoir la situation actuelle comme stable. Pour écouter de la musique, on peut utiliser un Deezer-like et accepter éventuellement une mauvaise qualité sonore mais où tout est gratuit, on peut aussi pirater (ce qui tente d'être enrayé par la répression, les projets ne manquent pas), ou enfin acheter sa musique.
Le problème, c'est qu'on a plutôt tendance à acheter ce qu'on connaît, soit parce qu'on aime un groupe/chanteur(euse) et qu'on achète ses nouveaux titres à l'aveuglette, soit parce qu'on connait déjà un peu ce qu'on achète. Et les 30 secondes d'extraits ne suffisent pas, et il est tentant de trouver une méthode alternative pour faire une écoute complète... qui ne se traduira peut-être pas par une vente devenue facultative.
Pour conclure en noyant le poisson, je citerais Keith Richards dans une interview parue dans Rock & Folk en 2005 : «Quand nous avons démarré, c’était un tout petit business de rien du
tout. Aujourd’hui c’est énorme. Je ne sais pas si c’est bien, notez.
Pour moi il y a la musique d’un côté, le music business de l’autre.»
A méditer.